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PIB par habitant en 2020 : une chute historique qui frappe surtout l’Ouest et le Sud de l’Europe

PIB

Temps de lecture : 9 minutes

Principaux résultats[1] : en 2020, le PIB par habitant de l’Union européenne (UE) s’élève à 38 744 dollars par an comparé à 41 297 dollars en 2019, soit une diminution de -6,2 %. Cette chute a été plus marquée qu’en 2009 – année de la dernière grande récession économique – et concerne davantage les pays de l’Ouest et du Sud de l’Europe. Pour l’essentiel, cette diminution en 2020 du PIB par habitant de l’UE provient d’une baisse du nombre d’heures travaillées par personne en emploi.

 

L’épidémie de Covid-19 a conduit à un arrêt brutal de l’activité économique en 2020. Les ressorts de cette double crise, sanitaire d’abord puis économique, diffèrent de ceux de la grande récession de 2009[2]. Il convient toutefois de souligner au moins une caractéristique commune : leur dimension transnationale. Tous les pays ont, en effet, été affectés par la propagation du virus et le ralentissement, voire l’arrêt de l’activité dans certains secteurs, illustrant ainsi l’interdépendance des économies à l’échelle mondiale.

Bien qu’insuffisant dans sa capacité à mesurer le bien-être d’une population, le produit intérieur brut (PIB) demeure l’indicateur économique le plus mobilisé dans le débat public lorsqu’il s’agit d’évaluer le niveau de richesse matérielle d’un pays, entendu comme la valeur totale de la production finale de biens et de services produits sur un territoire national[3].

En 2020, la croissance mondiale du PIB a chuté de -3,3 %[4]. Ce choc économique a sévi sur l’ensemble du globe, mais de manière plus ou moins forte selon les continents : il a ainsi été particulièrement important en Europe où le PIB s’est contracté de -5,2 %, contre -4,1 % en Amérique du Nord ou -1,5 % en Asie[5]. Rapporté au nombre d’habitants, il permet d’apprécier « le niveau de vie » matériel moyen d’une population. On parle alors de PIB par habitant (ou par tête).

À l’aune de la crise survenue en 2020, comment a évolué cet indicateur en Europe ? Et comment se compare-t-il par rapport à la dernière grande récession économique de 2009 ?

En 2020, le PIB par habitant de l’Union européenne (UE) s’élève à 38 744 $ PPA (parité de pouvoir d’achat) par an contre 41 297 $ PPA en 2019, soit une diminution de -6,2 % sur un an (graphique 1). La baisse du PIB par tête est plus prononcée en Europe de l’Ouest, où l’Espagne (-11,3 %) et le Royaume-Uni (-10,3 %) affichent les pertes de « niveau de vie » les plus fortes, devant l’Italie (-8,4 %), la France (-8,4 %) et la Grèce (-8,1 %). Pour la plupart, ces pays ont une économie davantage tournée vers le secteur du tourisme – notamment international – qui a connu une crise historique en 2020[6], en lien avec les mesures instaurées pour limiter la propagation du virus. On pense en particulier aux fermetures des frontières et aux restrictions de déplacements qui ont conduit à un ralentissement important du trafic aérien de passagers.

Au total, seule l’Irlande fait exception et voit son PIB par tête augmenter entre 2019 et 2020 (+ 2,3 %). Mais cette performance économique de l’Eire est un trompe-l’œil : attirées notamment par un taux avantageux d’imposition sur les sociétés (voir Impôt sur les sociétés, une course au moins-disant fiscal), certaines multinationales y font résider leur siège social et leur propriété intellectuelle ce qui contribue à faire gonfler artificiellement son PIB[7].

Cette baisse du PIB par habitant de l’UE est plus marquée qu’en 2009, année de la dernière grande récession économique durant laquelle il avait baissé de l’ordre de -4,6 % par rapport à 2008. Les États baltes qui avaient été davantage touchés en 2009 semblent quant à eux avoir mieux résisté en 2020.

Graphique 1 : Une baisse du PIB par habitant plus prononcée en Espagne et au Royaume-Uni en 2020

Évolution annuelle du PIB par habitant entre 2019-2020 et 2008-2009 (en dollars, prix et PPA constants de 2015)

Lecture : en France, entre 2019 et 2020, le PIB par habitant a diminué de -8,4 % contre -3,4 % entre 2008 et 2009.

Source : European DataLab, d’après OECD (2021) productivity database

 

Malgré sa forte baisse, dans la plupart des pays analysés le niveau du PIB par tête observé en 2020 est supérieur à celui de 2009 (graphique 2). Il faut néanmoins souligner la particularité du Royaume-Uni et de la France pour lesquels le PIB par tête est retombé à son niveau de 2009. Pis, en Grèce, en Italie et en Espagne il se situe même en deçà. Avant la crise, parmi ces trois pays de l’Europe méridionale, seul l’État grec n’avait pas encore recouvré son niveau de PIB par habitant de 2008. Ce difficile retour à une trajectoire ascendante peut s’expliquer par les effets durables de la crise de la dette publique grecque qui a conduit à une récession économique chronique jusqu’en 2016[8].

Ce sont les pays de l’Europe de l’Ouest qui ont, en 2020, les niveaux de PIB par habitant les plus élevés, avec le Luxembourg en tête devant l’Irlande et la Suisse. La disparité des PIB par tête est importante puisque l’on observe un rapport de 1 à 4 entre le Luxembourg (103 744 $ PPA par an) et la Grèce (25 832 $ PPA par an). La France se situe quant à elle dans la moyenne européenne avec 34 957 $ PPA par an en 2020.

Cette hiérarchie des PIB par habitant entre pays européens n’est pas bouleversée par rapport à 2009. Il faut toutefois noter la chute de la position de la Grèce qui passe du 17ème au 26ème et dernier rang des pays analysés, et – à l’inverse – la progression de la Lituanie du 25ème au 17ème rang.

Graphique 2 : Un PIB par habitant plus faible en 2020 qu’en 2009 en Grèce, en Italie et en Espagne

Niveau du PIB par habitant en 2009 et en 2020 (en dollars, prix et PPA constants de 2015)

Lecture : en France, en 2009, le PIB par habitant atteint 39 163 $ par an contre 39 457 $ par an en 2020.

Source : European DataLab, d’après OECD (2021) productivity database

 

D’un point de vue comptable, l’évolution annuelle du PIB par habitant entre 2019 et 2020[9] peut être décomposée en distinguant cinq déterminants[10] :

  • le ratio démographique, soit la part de la population en âge de travailler (15-64 ans) dans la population totale ;
  • le taux d’emploi de la population en âge de travailler (15-64 ans) ;
  • le nombre d’heures travaillées par personne en emploi ;
  • la productivité horaire, soit la valeur de la richesse produite (biens et services) divisée par le volume d’heures travaillées ;
  • le rapport entre l’ensemble des personnes en emploi et celles en âge de travailler. Ce ratio permet de prendre en compte la variation du PIB par habitant provenant de l’emploi des 65 ans et plus et d’assurer ainsi l’égalité comptable[11].

Entre 2019 et 2020, la chute du PIB par habitant de l’UE provient pour l’essentiel d’un moindre nombre d’heures travaillées : sur la baisse de -6,2 %, le nombre d’heures travaillées par travailleur contribue pour -5 points de pourcentage (graphique 3). Le taux d’emploi est le deuxième facteur qui contribue le plus à faire baisser le PIB par habitant dans l’UE en concourant à hauteur de -1,1 point de pourcentage. Au-delà du phénomène habituel de rétention de la main-d’œuvre en phase basse du cycle économique, cette diminution limitée du taux d’emploi peut s’expliquer par la mise en place de mesures d’urgence, à l’instar du dispositif exceptionnel d’activité partielle qui a été instauré dans la plupart des pays européens afin de sauvegarder l’emploi[12].

Le ratio démographique est défavorable puisqu’il contribue à faire baisser le PIB par tête en 2020, de l’ordre de -0,3 point de pourcentage. En l’espèce, la population en âge de travailler de l’UE a diminué alors que le reste de la population (les moins de 15 ans et les 65 ans et plus) a continué de croître en 2020. Pour une large part, ce phénomène traduit le vieillissement démographique et il est partagé par une grande partie des pays étudiés.

Enfin, la productivité horaire a contribué à accroître le PIB par tête de l’UE de +0,3 point. En réalité, pour la plupart des pays européens, ces gains de productivité horaire résultent d’une plus forte baisse du volume d’heures travaillées que du niveau du PIB. À l’inverse, seuls quelques pays, comme la Pologne, les Pays-Bas, la Finlande, l’Espagne ou encore la France ont vu leur productivité horaire baisser en raison d’une diminution plus importante du PIB que du volume d’heures travaillées.

Graphique 3 : La baisse du nombre d’heures travaillées explique l’essentiel de la chute du PIB par habitant en 2020

Décomposition de l’évolution annuelle du PIB par habitant entre 2019 et 2020, en points de pourcentage (en dollars, prix et PPA constants de 2015)

Lecture : en France, entre 2019 et 2020, le PIB par habitant a diminué de -8,4 %. Cette évolution se décompose en une contribution négative du taux d’emploi de -0,4 point, du nombre d’heures travaillées par travailleur de -7,2 points, de la productivité horaire de -0,4 point et de la démographie de -0,4 point. Le ratio correcteur emploi total/emploi des 15-64 ans a eu quant à lui une contribution nulle.

Source : European DataLab, d’après OECD (2021) productivity database et Eurostat

 
Focus sur les données :
Les données mobilisées sont issues de la productivity database mise à disposition par l’OCDE. Les effectifs en emploi des 15-64 ans proviennent de l’office statistique de l’Union européenne (Eurostat). En plus des pays de l’Union européenne (UE), l’Islande, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suisse sont également intégrés à l’analyse. Toutefois, une partie des données ne permettent pas d’observer individuellement la Bulgarie, Chypre, la Croatie, Malte et la Roumanie.
Le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant (ou par tête) est exprimé en dollars américains, à prix constants, en parités de pouvoir d‘achat (PPA) de 2015. Cette conversion – nécessaire lorsque l’on souhaite comparer le niveau de PIB entre pays – permet d’exprimer dans une unité commune les pouvoirs d’achat des différentes monnaies nationales.
Le PIB est un indicateur de l’activité économique. En ce sens, il est une mesure limitée et unidimensionnelle du bien-être et doit donc être complété par d’autres indicateurs. Par exemple, il ne tient pas compte des effets négatifs de l’activité économique, tels que la dégradation de l’environnement.
 
Pour aller plus loin :
● Bergeaud A., Cette G. et Lecat R. (2014), « Le produit intérieur brut par habitant sur longue période en France et dans les pays avancés : le rôle de la productivité et de l’emploi », Économie et statistique, n°474, Insee.
● Blanchet D. & Fleurbaey M. (2021), De quoi le PIB est la mesure et comment le dépasser, La Vie des idées, 2 février.
● FMI : World Economic Outlook
● OCDE : Productivity Data base

[1] Les jugements et opinions exprimés par l’auteur n’engagent que lui-même, et non l’institution à laquelle il est rattaché.

[2] Voir p. 19-30 du chapitre 1 in Boyer R. (2020), Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, éditions La Découverte, Paris.

[3] Il existe plusieurs alternatives au PIB. Pour une présentation détaillée de ces principaux indicateurs, voir Fleurbaey M. & Blanchet D. (2013), Beyond GDP : Measuring Welfare and Assessing Sustainability, Oxford University Press.

[4] IMF (2021), World Economic Outlook, april.

[5] Ibid.

[6] Unctad. (2021), Covid-19 and tourism. An update. Assessing the economic consequences, United nations conference on trade and development, june.

[7] Deaton A. & Schreyer P. (2021), « GDP, Wellbeing, and Health: Thoughts on the 2017 Round of the International Comparison Program », Review of Income and Wealth, forthcoming.

[8] Economides G., Papageorgiou D. & Philippopoulos A. (2020). « Macroeconomic Policy Lessons for Greece from the Debt Crisis », CESifo Working Paper, No.8188, CESifo, march.

[9] Les données mobilisées ne permettent pas de faire cette décomposition sur la période 2008-2009.

[10] Pour une présentation plus détaillée de la méthode, voir notamment Thubin C. (2014), « Le décrochage du PIB par habitant en France depuis 40 ans : pourquoi ? », Trésor-Eco, n°131, juin.

[11] Le nombre d’heures travaillées par personne en emploi et la productivité horaire se rapportent à l’ensemble des travailleurs (15 ans et plus) et non à ceux en âge de travailler (15-64 ans).

[12] Pour une analyse comparée des mesures d’urgence en Europe, voir le chapitre 2 in Cœuré B. (2021). Rapport final du Comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l’épidémie de covid-19, France Stratégie/Inspection générale des finances, juillet.

 
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