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Alors que les inégalités intragénérationnelles figurent au centre des préoccupations actuelles, les inégalités intergénérationnelles ne bénéficient pas du même niveau de vigilance. Et pourtant ces dernières sont particulièrement importantes puisqu’elles s’intéressent à l’influence du milieu d’origine (social, économique, géographique, etc.) sur la trajectoire socio-économique d’un individu. Dans quels pays européens la mobilité intergénérationnelle est-elle plus importante ?
Il existe de nombreuses façons de mesurer la mobilité sociale intergénérationnelle. Traditionnellement, les sociologues se sont intéressé·es au niveau d’éducation et aux classes sociales entre générations, tandis que les économistes analysent les trajectoires en matière de revenus et de patrimoine.
Calculer la probabilité d’être cadre pour les enfants de cadres par rapport aux enfants d’ouvriers est une façon de mesurer la mobilité sociale en matière de classes sociales. Cette mesure est appelée odds ratio, et plus sa valeur se rapproche de 1, moins les enfants de cadres sont avantagés par rapport aux enfants d’ouvriers. À l’inverse, plus la valeur du odds ratio s’éloigne de 1, et plus la mobilité sociale est faible.
La médiane pour les pays européens se situe à environ 2, ce qui signifie que les enfants de cadres ont deux fois plus de chance d’être cadres eux-mêmes que les enfants d’ouvriers (Graphique 1). Les pays les plus égalitaires sur cette mesure sont les pays Nordiques (Islande, Norvège, Danemark, Suède et Finlande) ainsi que les Pays-Bas, l’Estonie et la Suisse. La France se situe au niveau de la médiane avec un odds ratio de 1.93. Le pire élève, de loin, est le Portugal avec un odds ratio de 5.41, soit une probabilité d’être cadre 5 fois plus importante pour les enfants de cadres que pour les enfants d’ouvriers. D’autres pays d’Europe du Sud tels que l’Italie (2.22) et l’Espagne (2.48) font partie du tiers supérieur.
Graphique 1 : Une mobilité sociale en termes de classe sociale plus forte dans les pays d’Europe du Nord
Probabilité d’être cadre pour les enfants de cadres par rapport aux enfants d’ouvriers, 2002-14
Note : La droite noire représente la médiane pour l’Europe.
Lecture : En France, la probabilité d’être cadre pour les enfants de cadres est 1.93 fois supérieure à celle pour les enfants d’ouvriers.
Source : European DataLab, d’après les calculs de l’OCDE (2018, Graphique 4.5A et 4.5B).
En termes économiques, l’indicateur le plus commun pour mesurer la mobilité est l’élasticité intergénérationnelle de revenu (IGE, pour intergenerational earnings elasticity). Cet indicateur mesure le degré de rapprochement des revenus d’activité des parents (généralement le père) par rapport à l’enfant (généralement le fils). Une élasticité de 0 signifie que le revenu du parent n’a aucune relation avec le revenu de l’enfant ; une élasticité de 1 signifie qu’en moyenne si le revenu du parent augmente de 1% le revenu de l’enfant augmente aussi de 1%. Cela ne veut pas dire que le revenu de l’enfant est entièrement déterminé par le revenu du parent, il s’agit de ce qu’il se passe en moyenne.
Tout comme pour la mobilité sociale en termes de classes sociales, dans les pays Nordiques, le salaire des enfants dépend peu du salaire du parent, avec une élasticité en dessous de 0.2 (sauf pour la Suède) (Graphique 2). La France figure parmi les pays avec la plus forte persistance de revenus, tout comme l’Allemagne, la Hongrie et le Luxembourg. Pour ces pays, l’élasticité intergénérationnelle de revenus dépasse 0.5, ce qui signifie qu’en moyenne pour une augmentation de 1% des revenus des parents, les revenus des enfants augmentent de plus de 0.5%.
Graphique 2 : Une faible persistance des revenus entre générations dans les pays Nordiques
L’élasticité intergénérationnelle de revenus de père en fils, 2002-14
Note : la hauteur de chaque barre correspond à la meilleure estimation ponctuelle de l’élasticité intergénérationnelle des revenus d’activité de père en fils telle qu’estimée par l’OCDE (2018). Une valeur supérieure indique une plus grande persistance des revenus d’une génération à l’autre, et donc une plus faible mobilité intergénérationnelle. L’estimation pour le Luxembourg n’est pas strictement comparable avec celles d’autres pays de l’OCDE en raison de son schéma migratoire particulier, à savoir 46 % d’individus nés dans un autre pays en 2015, contre 13 % en moyenne dans l’OCDE (OCDE, 2017b). Un grand nombre de ces personnes n’ont pas grandi ni fait des études au Luxembourg.
Lecture : En France, l’estimation ponctuelle de l’élasticité intergénérationnelle des revenus d’activité de père en fils est de 0.53, ce qui signifie qu’en moyenne lorsque le revenu d’activité du père augmente de 1% celui du fils augmente de 0.53%.
Source : European DataLab, d’après le graphique 4.8 de OECD (2018).
Un facteur expliquant partiellement la mobilité intergénérationnelle est la différence de réussite scolaire entre enfants de milieux favorisés et défavorisés[1] (Graphique 3). En effet, bien que la réussite scolaire soit un prédicteur imparfait de la réussite professionnelle future d’un individu, elle représente un ingrédient important. La réussite scolaire en fonction du milieu de l’enfant peut être mesurée à l’aide de l’enquête PISA. Cette enquête mesure les compétences des enfants dans plusieurs domaines d’études (voir encadré Focus données et indicateurs).
Parmi les pays où les différences de score au test PISA en lecture entre enfants favorisés et défavorisés sont importantes on retrouve la France, l’Allemagne, la Hongrie et le Luxembourg, les quatre pays qui par ailleurs ont la plus forte persistance de revenu entre générations. En France, la différence est de 107 points tandis que la médiane des pays européens est de seulement 88 points. À l’opposé, parmi les pays ayant de faibles différences selon le milieu d’origine, se retrouvent l’Estonie, l’Islande, la Norvège et le Danemark, mais aussi l’Italie, et le Royaume-Uni dont les élasticités intergénérationnelles de revenu sont plutôt élevées. Cela suggère que des facteurs autres que les inégalités scolaires jouent un rôle important dans ces pays (effets de quartiers, importance des réseaux professionnels des parents, mobilité géographique, etc.).
Graphique 3 : De fortes différences de réussite scolaire entre enfants de milieux favorisés et défavorisés entre pays européens
Différence de score PISA en lecture entre enfants de milieux favorisés et de milieux défavorisés, 2018
Note : la hauteur de chaque barre correspond à la différence de score PISA en lecture entre enfants de milieux favorisés et défavorisés. Les enfants de milieu favorisé sont définis comme étant dans le quartile supérieur de l’indice de statut social, économique et culturel de l’OCDE (ESCS) tandis qu’un milieu défavorisé est défini comme étant dans le quartile inférieur de cet indice. *Pays-Bas et Portugal : Les données n’étaient pas conformes aux normes techniques de PISA, mais sont comparables. La droite noire représente la médiane pour l’Europe.
Lecture : En France, la différence de score au test PISA en lecture entre les enfants de milieux favorisés et de milieux défavorisés est de 107 points.
Source : European DataLab, d’après OCDE (2019, Table II.B1.3.1 [2/2]).
Focus données et indicateurs : PISA est une enquête de l’OCDE administrée à des élèves de 15 ans dans les pays de l’OCDE ainsi que dans des pays non-membres tous les trois ans depuis 2000. 79 pays et économies ont participé à l’évaluation de 2018. PISA évalue les performances des systèmes éducatifs dans trois domaines : compréhension de l’écrit, mathématiques et sciences. Les questions posées ont pour but de mesurer les compétences cognitives et de résolution de problème et sont donc très concrètes. Par exemple, le test de compréhension de l’écrit mesure la capacité à « comprendre, utiliser et évaluer des textes, mais aussi y réfléchir et s’y engager »[2]. De même, les questions de mathématiques et sciences ne sont pas abstraites, mais font référence à des situations de tous les jours. Des exemples de questions posées peuvent être trouvés sur le site de l’OCDE ici : http://www.oecd.org/pisa/test/ L’indice de statut social, économique et culturel (ESCS) est un indice calculé par analyse en composantes principales en utilisant les variables suivantes : éducation parentale, profession parentale, ainsi que sur les biens culturels et les ressources pédagogiques dont ils disposent à la maison[3]. |
[1] Les enfants de milieu favorisé sont définis comme étant dans le quartile supérieur de l’indice de statut social, économique et culturel de l’OCDE (ESCS) tandis qu’un milieu défavorisé est défini comme étant dans le quartile inférieur de cet indice.
[2] OECD (2019), PISA 2018 Results (Volume II): Where All Students Can Succeed, PISA, OECD Publishing, Paris.
[3] OECD (2017), Procedures and Construct Validation of Context Questionnaire Data, in PISA 2015 Technical Report, OECD Publishing, Paris.
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